Combien de critiques ?

A ce jour, il y a 498 critiques publiées dans ce blog.

Pages vues

Recherche

Recommander

Syndication

  • Flux RSS des articles

Calendrier

Octobre 2012
L M M J V S D
1 2 3 4 5 6 7
8 9 10 11 12 13 14
15 16 17 18 19 20 21
22 23 24 25 26 27 28
29 30 31        
<< < > >>

critiques d'avril 2012

Dimanche 22 avril 2012 7 22 /04 /Avr /2012 14:12

Film congolais de Djo Tunda Wa Munga

 

Interprètes : Patsha Bay (Riva), Manie Malone (Nora), Hoji Fortuna (César)


Durée : 1 h 38

 

Riva.jpg


Note : 6/10

 

En deux mots : Si ce film se déroulait à New York ou à Paris, il n'aurait pas grand intérêt. Mais il se passe à Kinshasa...


Le réalisateur :  Né à Kinshasa en 1972, Dio Tunda Wa Munga suit des études d'arts plastiques avant de suivre les cours de réalisation à l'INAS de Bruxelles. En 1998, son film de fin d'étude, "Angry" n'est pas validé parce que la vision est estimée "pas suffisament africaine". Il réalise des documentaires, avant de fonder sa société de production à Kinshasa.

 

Le sujet : Après des années passées en Angola, Riva revient à Kinshasa avec toute une cargaison d'essence, alors que la pénurie de carburant sévit dans la capitale congolaise. Avec son copain J.M., il va fêter son retour et tombe sur une fille superbe, Nora qui s'avère être la compagne d'Azor, un petit caïd. Mais César et ses sbires, des Angolais à qui Riva a dérobé l'essence, sont sur sa piste et se montrent prêts à tout pour le retrouver.

 

La critique : Ces critiques se veulent ouvertes au cinéma du monde entier, et au-delà des cinématographies asiatiques ou sud-américaines, elles se sont intéressées à des films islandais, bosniaques ou mongols. Par contre, et du fait de la rareté de la programmation de films d'Afrique noire, elles n'ont à leur actif qu'un film tchadien, et un film sud-africain. Voilà donc une bonne raison de s'intéresser à ce "Viva Riva", film tourné au Congo par un réalisateur congolais, même si une bonne part de la production vient de France et de Belgique ; il s'agit d'ailleurs du premier film tournée en République Démocratique du Congo depuis 1987 et "La Vie est belle", de Mweze Ngangura.

 

Comme Gavin Hood, le réalisateur de "Mon nom est Tsosti", Dio Tunda Wa Munga a choisi le genre du polar. Choix pertinent, car de tout temps le film noir a permis de raconter de nombreuses choses sur la société qui lui sert de toile de fond : il suffit de comparer les "Scarface" d'Howard Hawks et de Brian De Palma pour s'en convaincre. Je vais donc analyser ce "Viva Riva" sous deux angles, celui du polar et celui de la toile de fond.

 

Ce n'est pas un hasard si je cite le "Scarface" de De Palma, car Dio Tunda Wa Munga affirme avoir été très influencé par ce film, et cela se voit. On retrouve dans le scénario un paquet d'éléments constitutifs du polar : la femme fatale, le caïd de quartier qui tabasse sa femme et envoie ses gorilles contre ceux qui le narguent, le chef de bande impitoyable, des flics corrompus, de la violence, de la violence, et encore de la violence. Les méchants ont la vie dure (et des gilets pare-balles), et le héros encaisse coups de pieds, de poings et de feu ; bref, rien de bien original, si ce n'est que les méchants sont Angolais, que ce qu'on traffique, c'est de l'essence, et que le plus gros acheteur potentiel de cette essence est un prêtre qui part demander l'accord de l'évêque pour la transaction...

 

Car ce qui fait le réel intérêt du film, outre une vraie maîtrise de la mise en scène et une belle photographie, c'est tout ce qu'il nous apprend sur la société congolaise où tout tourne autour de l'argent ; un des personnages angolais dit d'ailleurs : "Dans votre pays, vous croyez que l'argent, c'est tout ; mais au bout, il tue toujours." On découvre le personnage de la commandante, militaire homosexuelle, celui de la femme d'un petit malfrat rangé des voitures qui lâche "c'est toujours à l'heure du repas que les gens se pointent", ou encore celui d'Anto, petit orphelin revendeur de portables. L'ambiance de Kinshasa est parfaitement rendue, avec ses trains bondés, ses coupures de courant, ses files d'attente à la pompe à essence, et la place de la nuit, ce qui donne le dialogue suivant : "Il aime la fête et les femmes." "- Comme tout le monde..."

 

Le personnage central, celui de Riva, promène sa nonchalance rieuse et finalement suicidaire dans le dédale de la nuit kinoise, symbolique d'une Afrique majestueuse et flambeuse. La scène de sa visite à ses parents, avec la remontée des vieux secrets de famille et de la culpabilité de la perte du frère est un nouvel emprunt au cinéma américain, et ne sert pas à grand chose, le mystère autour du passé de Riva étant beaucoup plus intéressant que ces explications psychologisantes. Au-delà de ce trop plein scénaristique, "Viva Riva" réussit à maintenir l'intérêt, grâce à un vrai sens du rythme ponctué par la musique et à la précision de la description d'un société toujours en mouvement.

 

Cluny

Par Cluny - Publié dans : critiques d'avril 2012 - Communauté : Cinéma
Ecrire un commentaire - Voir les 0 commentaires
Jeudi 19 avril 2012 4 19 /04 /Avr /2012 20:19

Film franco-suisse d'Ursula Meier

 

Interprètes : Kacey Mottet Klein (Simon), Léa Seydoux (Louise), Gillan Anderson (La femme anglaise)


Durée : 1 h 37

 

Enfant-en-haut.jpg


Note : 4/10

 

En deux mots : Nouvel exemple de ces films "à la Dardenne" qui pululent dans le cinéma d'auteur, superposant la prétention à l'ennui.


La réalisatrice :  Née à Besançon en 1971, Ursula Meier suit des études de cinéma en Belgique de 1990 à 94 à l'Institut des Arts de Diffusion de Louvain-La-Neuve, en section réalisation cinéma-télévision-radio. Elle réalise trois courts métrages, dont "Des heures sans sommeil"  qui reçoit le Prix Spécial du Jury au Festival de Clermont-Ferrand et le Grand Prix International au Festival de Toronto en 1998. En réalise son premier long métrage en 2002, "Des Epaules solides", suivi de "Home" en 2008.

 

Le sujet : Simon, 12 ans, vit avec sa soeur Louise dans une tour perdue au milieu de la vallée industrielle, au pied d'une station de ski. Tous les jours, il monte par le téléphérique et vole des skis, des casques, des lunettes ou des gants qu'il revend. Louise enchaine les petits boulots, et devient de plus en plus dépendante financièrement de Simon.

 

La critique : Les fidèles lecteurs de ce blog trouveront peut-être un goût de déjà vu à cette critique, qui leur rappellera celles de " Charly" ou de " Tout est pardonné" : même décalage entre l'emballement de la critique et le profond ennui que j'ai ressenti, avec le sentiment lancinant d'être maintenu à l'extérieur de l'histoire. Ici, dans "L'Enfant d'en haut", la première demi-heure concentre cette impression : la caméra suit en plans serrés Simon qui de salle hors-sac en terrasse de café d'altitude accumule les larcins, le visage camouflé sous son casque et sa cagoule. La démarche intellectuelle de la réalisatrice (reserrer le cadre sur Simon pour montrer son extériorité à ce milieu de la montagne pour riches, par opposition aux plans larges qui découvrent le paysage tristement bétonné de la vallée industrielle) rend cette très longue scène d'ouverture encore plus ennuyeuse.

 

L'apparition de Léa Seydoux et l'amorce d'une description des relations entre Simon et elle ouvrent une autre piste, vite refermée avec la fugue de la soeur irresponsable : revoilà Simon bien seul, et nous avec à devoir le suivre dans ces scènes interminables de rapine filmées dans la continuité. Alors, par intermittence, le récit descend de la station pour traiter de son véritable sujet, l'étrange relation entre Louise et Simon, où le gamin ramène l'argent à la maison alors que la soi-disant adulte est incapable de garder un boulot, et se met à soutirer à Simon son argent en passant de la supplication au chantage. Entre les deux, l'objet de ce chantage est l'amour dont de gamin élevé apparemment tout seul manque si cruellement, et que Louise ne lui offre qu'occasionnellement avant de laisser exploser sa dureté .

 

La révélation du milieu du film parvient de façon éphémère à créer une tension et un enjeu ; mais la narration redevient vite décousue et l'on a à nouveau le temps de s'interroger sur l'intérêt de ce conte social qui louche sur les personnages des Dardenne, sans approcher la cohérence des frères de Seraing, loin s'en faut. Ursula Meier se tient à son choix : rester le plus extérieur possible de ses personnages, en les décrivant comme une entomologiste. Cette description organique que certains encensent m'a laissé perplexe : après 90 minutes de film, on n'en sait pas plus sur cette famille si particulière. On les voit s'ébattre dans une société suisse aussi clivée, on comprend bien leurs manques et leurs jeux relationnels, mais on ne sait finalement pas grand chose d'eux, de leur histoire et de leurs représentations.

 

C'est sans doute ce parti pris d'extériorité qui n'a pas fonctionné avec moi, et qui explique pourquoi l'ennui s'est mêlé à l'agacement, malgré la qualité de jeux des acteurs (Kacey Mottet Klein, déjà vu dans "Home" et qui jouait Gainsbourg enfant dans le film de Joann Sfar, et Léa Seydoux, comme toujours excellente) et de vrais idées de mise en scène (la verticalité du récit, entre le haut et le bas symbolisé par le téléphérique, l'opposition entre l'emmitouflage du haut et la quasi-nudité du bas...).

 

Cluny


Par Cluny - Publié dans : critiques d'avril 2012 - Communauté : Cinéma
Ecrire un commentaire - Voir les 0 commentaires
Dimanche 15 avril 2012 7 15 /04 /Avr /2012 13:09

Film japonais de Kore-Eda Hirokazu

 

Titre original : Kikseki

 

Interprètes : Koki Maeda (Koichi ), Ohshiro Meada (Ryunosuke), Nene Ohtsuka (La mère), Joo Odagiri (Le père)


Durée : 2 h 08

 

I Wish


Note : 7/10

 

En deux mots : Après une première heure un peu longuette, on retrouve toute la finesse de Kore-Eda Hirozaku et sa capacité exceptionnelle à diriger des enfants.


Le réalisateur :  Né en 1962 à Tokyo, Kore-Eda Hirozaku est diplômé de l'université de Waseda. Il commence à réaliser de nombreux documentaires pour la télévision. Il tourne son premier long-métrage en 1995, "Maborosi", primé à Venise. Suivent "Après la Vie" (1998), "Distance" (2001) et "Nobody Knows" qui vaut à son jeune acteur le prix d'interprétation à Cannes en 2004. Il réalise ensuite "Still Walking" en 2009.

 

Le sujet : Sur l'île de Kyushu, deux frères sont séparés par le divorce de leurs parents. L'aîné, Koichi, âgé de 12 ans, vit avec sa mère et ses grands-parents au pied d'un volcan en éruption. Son petit frère, Ryunosuke, est resté avec son père guitariste de rock au nord de l'île. Koichi souhaite que sa famille soit à nouveau réunie. Quand un nouveau TGV relie enfin les deux extrêmités de l'êle, Koichi et Ryunosuke décident d'organiser clandestinement une rencontre à l'endroit où les deux trains se croisent, et où, croient-ils, peuvent être exaucés les voeux les plus secrets. 

 

La critique : Ce n'est pas la première fois que Kore-Eda Hirokazu parle de l'enfance : elle était au centre de "Nobody knows", et dans "Still Walking", le personnage du petit-fils joue un rôle important. Dans ces deux films, et particulièrement dans "Nobody knows", elle était entourée de menaces et de dangers, entre l'abandon de la mère et le culte oppressant du fils disparu. Ses autres films abordaient aussi des thèmes graves : la mort dans "After Life", le suicide collectif dans "Distance". Ici, rien de semblable ; au contraire, l'évènement déclencheur est le plus banal du monde, à savoir le divorce, et si l'escapade de la troupe d'enfants a la saveur du conte, les ogres rencontrés sont des vieillards bienveillants, que ce soit le grand-père complice ou les retraités qui sauvent la petite troupe du zèle du policier local.

 

A la question qui lui était posée sur cette tonalité si optimiste, Hirokazu a répondu que ça s'était fait ainsi sans qu'il l'ait prémédité : "En fait ce n’est pas une décision personnelle. Je reconnais que ce film est plein de vie, mais c’est la vie qu’ont apporté tous ces personnages, les acteurs, les enfants qui étaient plein de vie." Il faut dire que le film repose sur le jeu des enfants, et particulièrement celui des deux frères Maeda qui jouent Koichi et Ryunosuke avec gravité pour l'aîné, avec fantaisie pour le plus jeune, et que même si on sent bien le processus d'écriture dans les dialogues, le naturel des jeunes acteurs les rend extrêmement fluides.

 

Hirokazu raconte que le point de départ du film était une image tirée de "Stand by me" de Rob Reiner, celle d'un groupe d'enfants marchant le long de rails. Mais quand il a fait les repérages pour tourner la scène du croisement des deux Shinkansen, il s'est rendu compte que toute la ligne de ce TGV dans l'île de Kyushu au sud du Japon était surélevée, et il a donc dû modifier le scénario, faisant de cette difficulté à se mettre en surplomb de la voie un des ressorts du scénario. Les références que cite Hirokazu et auxquelles j'avais pensé à la vision du film sont nombreuses, notamment "Gosses de Tokyo", d'Ozu, et "Les 400 coups" de Truffaut.

 

Le film est composé de deux parties distinctes : la première heure nous décrit dans un montage parallèle et par petites touches la situation des deux frères aux deux extrêmités de l'île : leurs familles, leurs amis, leurs écoles, et comment naît le projet de la rencontre. La seconde raconte le voyage des deux bandes pour se retrouver au centre de l'île, leur trajet commun et leur retour; Autant la deuxième partie se regarde avec plaisir et grand intérêt, autant la première est beaucoup plus difficile à suivre. Hirokazu y alterne des scènes courtes, très dialoguées, en plongeant d'emblée le spectateur dans la vie quotidienne des deux gamins, et en laissant à ce même spectateur le soin de recontruire le puzzle de leur histoire. Or, il y est fait référence à de nombreux éléments de la culture japonaise, et quand on n'est familier ni avec les joueurs de base-ball de la NPB, ni avec les personnages de manga, ni avec les spécialités culinaires de Kyushu, on a vite fait de décrocher, ce que ma voisine au Balzac a manifesté par des ronflements sonores, ce qui ne m'a pas aidé en entrer dans l'histoire.

 

Heureusement, même cette première heure est traversée par des moments forts, comme la solidarité des élèves contre le manque de tact du professeur, ou amusants comme la convergence des avis sur le karukan, la spécialité au goût incertain que prépare le grand-père ou la complicité de l'infirmière scolaire avec les jeunes comploteurs. Tout en gardant le cap sur la ligne narrative donnée par le projet des enfants, Hirokazu continue à aborder par petites touches subtiles les questions qu'il se pose sur la société japonaise : les relations entre les différentes générations, le rapport à la nature dans un pays d'une telle densité, ou l'importance des conventions sociales. Reste à savoir si le fait de raccourcir la première partie aurait fait perdre ou non de la force au voyage initiatique des enfants. Pas sûr, et on y aurait certainement gagné de la lisibilité.

 

Cluny


Par Cluny - Publié dans : critiques d'avril 2012 - Communauté : Cinéma
Ecrire un commentaire - Voir les 1 commentaires
Mardi 10 avril 2012 2 10 /04 /Avr /2012 21:06

Film américain de Francis Ford Coppola

 

Interprètes : Val Kilmer (Hall Baltimore), Bruce Dern (Bobby LaGrange), Elle Fanning (V), Ben Chaplin (Edgar Poe)


Durée : 1 h 29

 

twixt1.jpg


Note : 7,5/10

 

En deux mots : Francis Ford poursuit son introspection cheap et provo, recyclant tout son cinéma et au delà, divisant la critique et ravissant les cinéphiles, dont moi.


Le réalisateur :  Né en 1939 à Detroit, Francis Ford Coppola entre au département cinéma de l'UCLA. En 1963, Roger Corman lui permet de tourner son premier long métrage : "Dementia 13". Il écrit ensuite des scénarios, dont celui de "Paris brûle-t-il ?" en 1966. Le succés du "Parrain" en 1972 lui permet de tourner "Conversation secrète", qui obtient le Grand Prix au Festival de Cannes en 1974. Deux ans après, il emporte la Palme d'Or avec "Apocalypse Now". Suivent ensuite "Le Parrain" 2 et 3, 'Outsiders" (1983), "Rusty James" (1984), "Cotton Club" (1985), "Tucker (1988), "Jardins de Pierre" (1989), "Dracula" (1993) et "L'Idéaliste" (1998). Depuis, il s'est surtout consacré à la production, notamment des films de sa fille Sofia et de son fils Roman, avant de réaliser en 2007 "L'Homme sans âge", suivi en 2009 de "Tetro".

 

Le sujet : Ecrivain d'histoires de sorcellerie en panne d'inspiration, Hall Baltimore s'arrête à Squaw Valley pour y dédicacer ses livres. Le shériff lui raconte qu'un massacre de masse a eu lieu dans la ville, et lui montre à la morgue le corps d'une jeune fille percé d'un pieu. Il lui propose d'écrire ensemble une histoire de vampires. Comme il a un besoin urgent d'argent, Baltimore accepte. Dans ses rêves, il rencontre une jeune fille nommée V qui semble avoir été témoin du meurtre d'enfants, ainsi qu'Edgar Poe à qui il demande de l'aider à trouver une fin à son histoire.

 

La critique : En reprenant la réalisation en 2006 avec "L'Homme sans âge" après un arrêt de 8 ans, Francis Ford Coppola s’imposa trois règles : il devait lui-même écrire le scénario ; le film devait nécessairement avoir un écho personnel - un aspect de lui-même ou de sa vie qu’il n’aurait pas compris - et devait être autofinancé afin d’en limiter le budget et de garder le contrôle absolu de sa liberté artistique. Plus encore que dans les deux premiers films de sa nouvelle carrière, ces trois conditions sont scrupuleusement respectées : le scénario est entièrement orginal, contrairement à "L'Homme sans âge" qui était adapté d'un roman de Micea Eliade ; le point nodal de l'histoire de "Twixt" est la culpabilité de Hall Baltimore qui n'a pas su empêcher l'accident de speed boat où a péri sa fille, exactement dans les mêmes conditions que celles de la mort de Gian Carlo Coppola en 1986 ; et enfin, le budget de 7 millions de dollars a permis un total contrôle du réalisateur sur tout le processus de création, et ça se voit.

 

"Twixt" signifie entre deux, et c'est exactement de ça dont il s'agit. Tout le film se situe entre deux choses, l'une et son contraire : entre deux temporalités, entre deux niveaux de réalité, entre la beauté revendiquée et un kitsch tranquillement assumé, entre l'hyper-référence littéraire et l'exorcisme des fractures intimes, entre Meliès et 3D. Le film se présente sous la forme d'un labyrinthe où se perd très vite le héros, et avec lui le spectateur. Ouvert sur le ton du conte "Once upon a time..." par un narrateur qui n'est autre que Tom Waits, il nous montre d'abord la banalité légèrement inquiétante d'un petite bourgade américaine, où l'épicerie vend quelques livres et où le motel ressemble à celui de "Psychose" ; le shériff fabrique aussi des nichoirs à oiseaux et se pique de prétentions littéraires. L'écrivain forcément en panne d'inspiration, forcément sur le déclin et forcément porté sur la bouteille va se laisser entraîner dans une forme de somnambulisme, avec une opposition d'abord marquée entre ce qu'il vit (couleurs chaudes) et ce qu'il rêve (nuit américaine avec quelques taches de couleur comme les rumble fishs de "Rusty James").

 

Il se trouve vite confronté à un double défi : démêler en quoi le passé, à savoir le massacre d'une dizaine d'enfants dans les années cinquante, explique le présent, c'est-à-dire la découverte du corps d'une jeune fille transpercé par un pieu, mais aussi parvenir à écrire une histoire. Dans cette quête, il va progressivement découvrir que la solution à ces deux difficultés se trouve autant dans sa propre histoire que dans les outils de la création qu'Edgar Poe en personne lui propose dans ses séquences rêvées. Coppola a raconté que le point de départ de son scénario est un rêve qu'il a fait à Istanbul en 2009, et qu'il a noté comme Fellini dessinait les siens. Ayant lu récemment les oeuvres complètes d'Edgar Poe, il ne s'étonna pas de le voir apparaître dans son rêve : "Je me suis demandé s’il y avait un point commun entre ma vie et celle de Poe. Manifestement nous étions tous deux hantés par un fantôme. J’ai rapidement compris que pour Poe il s’agissait de sa femme Virginia, disparue jeune, et je m’interrogeais : qui était donc le mien ?»

 

Edgar Poe est donc présent sous les traits de Ben Chaplin, mais aussi par de nombnreux autres indices : le nom de Baltimore, qui est celui de la ville où vécut et mourut l'auteur des "Histoires extraordinaires", le nom du pasteur, Allan Floyd, le poème de Beaudelaire, Spleen, déclamé phonétiquement en français par Alden Erhenreich qui joue Flamingo, mais encore le prénom du spectre de la jeune fille jouée par Elle Fanning, Victoria, prénom de sa femme épousée à 13 ans et morte à 25, et qui prit dans son oeuvre les traits de Lenore, Annabel Lee ou Ligeia. Edgar Poe guide donc Hall Baltimore pour la construction narrative de son livre, mais nul besoin à Coppola de mentor pour son écriture filmique. Il assume là encore le twixt, la contradiction entre la simplicité ("J’ai décidé d’arrêter presque entièrement de faire des mouvements de caméra. Dans Twixt, elle ne bouge pratiquement pas, sauf pour cinq panoramiques. J’utilise une technique visuelle où la scène s’élabore à partir d’unités de construction filmique en partant du principe que les spectateurs ne s’intéressent pas particulièrement à la mise en scène") et la complexité, voire la surcharge, multipliant les effets comme ce ciel où on distingue le mouvement des étoiles, comme quand on le photographie avec un long temps de pose. Il y a d'ailleurs beaucoup de choses autour du temps, dont un des personnages dit qu'il s'écoule autrement : le clocher de l'église avec ses sept horloges, qui indiquent toutes une heure différente, la cohabitation d'Edgar Poe, des personnages du massacre de 1955 et de Hall Baltimore, ou l'Hotel abandonné qui revit comme l'Hôtel Overlook.

 

Il est intéressant de noter le grand écart entre les avis des différents critiques, du "merveilleux état de grâce" des Cahiers à la "plaisanterie de carabin indigne du cinéaste" de l'Express, Télérama publiant bien sûr un pour (Jacques Morice) et un contre (Cécile Mury). Intéressant, et pas étonnant, car c'est le résultat de la démarche de Coppola, qui s'en contrefiche totalement de plaire, à la différence de tous les films de studios. C'est cette liberté absolue, perceptible à tout instant, qui donne toute sa valeur à "Twixt" et qui en justifie les excès et les boursouflures, offrant à ce film d'étudiant réalisé à 70 ans une place légitime dans la très belle filmographie du réalisateur aux six oscars et aux deux palmes d'or.


Cluny

 


 

Par Cluny - Publié dans : critiques d'avril 2012 - Communauté : Cinéma
Ecrire un commentaire - Voir les 0 commentaires
Dimanche 8 avril 2012 7 08 /04 /Avr /2012 18:24

Film français de Frédéric Videau

 

Interprètes : Agathe Bonitzer (Gaëlle Faroult), Reda Kateb (Vincent Maillard), Hélène Fillières (Anne Morellini)


Durée : 1 h 31

 

A-MOI-SEULE.JPG


Note : 8/10

 

En deux mots : Film passionnant sur la difficulté à retrouver sa place après une séquestration de huit ans, porté par une Agathe Bonitzer impressionnante.


Le réalisateur : Né en 1964 à Angoulême, Frédéric Videau intègre la Femis en 1986. Il réalise des films institutionnels avant d'intégrer le service des sports de France 2. Il quitte la télévision en 1999 et réalise en 2001 un documentaire, "Le fils de Jean-Claude Videau". Il réalise son premier long métrage de fiction en 2003, "Variété française".

 

Le sujet : Séquestrée pendant huit ans depuis l'âge de 10 ans par Vincent, Gaëlle parvient à s'enfuir alors que son ravisseur a laissé la porte ouverte et qu'il ne la poursuit pas. Placée dans une institution, elle refuse de retourner habiter chez sa mère et s'oppose à la psychologue qui tente de l'aider à retrouver sa place. Cette redécouverte brutale du monde extérieur est ponctuée par les souvenirs qui lui reviennent des moments cruciaux de ces huit années.

 

La critique : Frédéric Videau raconte ainsi la genèse de son film : "Ce qui m'intéressait, c'était de partir du choc que j'ai éprouvé devant l'interview de cette fille (Natascha Kampusch) à la télévision. Au bout de quelques secondes, je n'écoutais plus ce qu'elle disait, je la regardais et les questions se bousculaient dans ma tête : comment pouvait-elle être aussi forte, souriante et pleine de vie après ce qui lui était arrivé ?" Précision importante, car elle dissipe une interrogation qui plane sur un tel sujet : peut-on faire un film d'une situation aussi sordide, et comment montrer la relation entre le bourreau et sa victime sans tomber dans le voyeurisme malsain ? Même si l'histoire autrichienne reste forcémenr présente dans la tête des spectateurs comme elle a dû l'être dans celles des membres de l'équipe du film, il s'agit d'une autre histoire, une fiction comme le rappelle le panneau qui apparait au début du film.

 

Deuxième précision nécessaire : le sujet du film n'est pas uniquement le rapport entre Vincent et Gaëlle, et encore moins son issue, puisqu'on nous montre la libération de la jeune fille dès la deuxième scène, avec d'emblée toute l'ambiguïté qu'elle recèle : Vincent a-t-il laissé la porte ouverte intentionnellement ? Que signifie cet arrêt de Gaëlle quand elle se trouve au bout de l'allée et qu'elle regarde Vincent, ou plutôt le spectateur qui est à sa place ? Il existe au moins trois films qui racontent l'histoire d'une jeune fille ou d'une jeune femme séquestrée par un homme : "Contre toi", de Lola Doillon, "La Piel que habito", de Pedro Almodovar, et "La Drôlesse", de Jacques Doillon. Dans les deux premiers, la motivation du kidnappeur est la même : la vengeance. La motivation de François dans "La Drôlesse" peut sembler se rapprocher de celle de Vincent, a savoir un besoin d'échapper à sa solitude. Je dis "peut sembler", car, et c'est une des forces du film, on ne sait finalement pas grand chose des motivations du bourreau.

 

Vincent, interprété tout en finesse par Reda Kateb (" Un Prophète", "Mafiosa"), annonce dès le premier jour les règles qu'il a fixées : il ne touchera pas Gaëlle et il lui fournira tout ce dont elle aura besoin, mais il la punira d'isolement dans sa cave à chaque tentative de se soustraire à son autorité. Il lui procure livres, DVD, ordinateur, lui fait la morale quand elle refuse de manger ou qu'elle déchire un livre, et il lui fait même faire des dictées, en les prolongeant jusqu'à ce qu'elle écrive un paragraphe sans faute. Comme Natascha Kampusch emmenée de force au ski par son ravisseur, elle apprend même à conduire la nuit. Ponctuée des éclats de la violence de Vincent, cette relation butte sur la résolution de Gaëlle de refuser d'en accepter le principe. Et si s'installe à la longue une relation de vieux couple, lui racontant les discussions à la scierie sur l'annualisation du temps de travail, elle parlant de sa dernière lecture ("La Rivière de sang", de Jim Tenuto), Gaëlle réaffirme à chaque fois que la normalité de ce quotidien étrange semble s'être installée qu'elle partira à la première occasion.

 

Tout cela, nous le découvrons progressivement à la lumière des souvenirs qui reviennent en flashbacks, pas forcément dans l'ordre chronologique, reconstitué grâce à l'évolution des teintures de la chevelure de Gaëlle. Et ces souvenirs émergent en regard de l'après qu'est en train de vivre la jeune fille, marqué par sa difficulté à reprendre une place après huit ans ("Ca fait combien, en francs ?"), et par la difficulté de ses proches à sortir de leur tristese et de leur culpabilité. Le père, remarquablement joué par Jacques Bonaffé, et la mère, tout aussi bien incarnée par Noémie Lvovski, n'arrivent pas à voir dans cette frêle jeune femme de 18 ans la petite fille de 10 ans qu'ils croyaient à tout jamais perdue, et tous parlent de son ravisseur comme d'un monstre alors qu'elle même éprouve de la culpablilité à pouvoir s'en souvenir autrement. Cette difficulté à vivre sa libération évoque un autte film, "Rapt" de Lucas Belvaux sur l'enlèvement du Baron Empain.

 

Le film repose sur Agathe Bonitzer, à qui Frédéric Videau a pensé dès l'écriture du rôle. Elle impose son personnage avec une intensité bouleversante, renvoyant à tous ceux qui s'apitoient sur elle une forme dérivée de la violence de Vincent, et suggère par un regard ou un silence toute la palette des émotions qui habitent son personnage d'écorchée vive. La très belle photographie hivernale renforce une message implicite, en opposant la froidure des scènes du monde extérieur à la chaleur relative de la maison de Vincent, et ayant soin de jouer la complémentarité des teintes dominantes avec les différentes teintes de la chevelure de Gaëlle. Film à la fois dérangeant et passionnant, "A moi seule" révèle une étonnante maîtrise pour un deuxième film, et offre indéniablement une des bonnes surprises de ce début d'année.

 

Cluny

 


Par Cluny - Publié dans : critiques d'avril 2012 - Communauté : Cinéma
Ecrire un commentaire - Voir les 0 commentaires

Sorties récentes en DVD

Catégories

Créer un blog gratuit sur over-blog.com - Contact - C.G.U. - Signaler un abus - Articles les plus commentés