Mardi 24 mai 2011
2
24
/05
/Mai
/2011
08:00
Film belge de Jean-Pierre et Luc Dardenne
Interprètes : Thomas Doret (Cyril), Cécile De France (Samantha), Jérémie Renier (Le
père)
Durée : 1 h 27
Note : 7,5/10
En deux mots : Retour cannois des deux frangins belges, pour une nouvelle histoire de filiation dans une tonailté plus optimiste.
Les réalisateurs : Jean-Pierre est né en 1951 et Luc en 1954. Les deux frères Dardenne ont
grandi à Seraing, dans la banlieue de Liège. Après des études d'art dramatique pour Jean-Pierre et de sociologie pour Luc, ils rencontrent Armand Gatti qui les prennent comme assistants au
théâtre. Ils tournent des films militants, et fondent en 1975 une société de production. En 1987, ils réalisent leur première fiction, "Falsch". En 1996, ils présentent "La
Promesse" à Cannes. En 1999 "Rosetta" leur permet d'obtenir leur première palme d'Or, en 2002 "Le Fils" vaut à Olivier Gourmet le prix d'interprétation, et
"L'Enfant" se voit récompensé en 2005 d'une nouvelle Palme d'Or. Ils réalisent "Le silence de Lorna" en
2008, qui repart avec le prix du scénario.
Le sujet : Cyril vit dans un foyer où son père l'a placé, lui disant qu'il viendrait le reprendre un jour. Mais quand il cherche à le retrouver,
Cyril découvre qu'il a déménagé sans laisser d'adresse, et qu'il ne semble pas disposé à tenir sa promesse. Au cours d'une fugue, il rencontre Samantha, une coiffeuse qui habite son ancien
quartier. Celle-ci accepte de le prendre les week-ends, et de l'aider à retrouver son père.
La critique : Ce qui est formidable avec Cannes, c'est que cela présente un extraordinaire raccourci de la diversité du cinéma. Ainsi, pouvoir voir
en une semaine "Midnight in Paris", "The Tree of Life" et "Le Gamin au vélo" suffit
à effacer des mois de jachère cinématographique et à réveiller un critique endormi. En effet, quoi de plus différent que la virtuosité plastique, sensorielle et chorégraphique de Terrence Malick,
et la simplicité narrative des frères Dardenne ? Et pourtant, dans un cas comme dans l'autre, l'émotion peut surgir à partir d'un rien, et le spectateur se sent grandi de ce qu'il voit.
On retrouve dans ce "Gamin au vélo" de nombreux ingrédients présents dans les oeuvres précédentes des deux frères : le lien
douloureux et inassumé de la filiation, un héros en perpétuel mouvement lancé dans une quête obstinée, le conflit entre une jeunesse perdue et une société où règne l'exploitation, le tout dans ce
style naturaliste qui est la marque de fabrique des deux plus célèbres réalisateurs belges. Pourtant, ce film présente aussi des différences avec ses pédécesseurs, particuiièrement dans la
tonalité. Déjà, du fait de la présence à l'écran dans toutes les scènes du jeune Thomas Dovet, le film a été presque entièrement tourné de jour, qui plus est l'été, ce qui donne une luminosité
inhabituelle.
Mais ce changement de tonalité n'est pas que pictural : il s'applique aussi au récit. Même si la cité où vivait Cyril n'est pas le pays des Bisounours, il y a
moins de noirceur que dans les films précédents, et notamment de franches crapules, à l'exception peut-être du petit caïd avec ses coups pitoyables. Les éducateurs font leur boulot, dépassés par
l'obstination du gamin, de nombreux personnages repoussent ses demandes entêtantes, comme le gardien, le garagiste ou le garçon de café (joué par Olivier Gourmet), mais tous manifestent
finalement plutôt un peu d'impatience agacée. Le père (Jérémy Renier) semble surtout manquer de la volonté qui fait la force de son fils, et à l'image de tant de personnages des frères Dardenne,
il est surtout dépassé par une vie qui va trop vite pour lui.
Et puis il y a le personnage solaire de Samantha, percutée par Cyril qui s'agrippe à elle dans la salle d'attente du cabinet médical où il s'est réfugié,
poursuivi par ses éducateurs. On ne sait finalement pas pourquoi elle s'attache à ce gamin pourtant si ingrat, et ce mystère illustre la force du cinéma des Dardenne : pas de longues
explications psychologiques pour justifier les personnages, qu'ils soient négatif (le père) ou positif (Samantha), la force des scènes issue de leur simplicité
suffit.
Il est assez inhabituel pour les deux frères de faire appel à une star, revenant juste d'Hollywood après avoir tourné avec Eastwood. Mais la plus
célèbre actrice belge, qui a dû réapprendre son accent, s'est fondue avec facilité dans la Méthode Dardenne. Elle attendait cette proposition depuis longtemps : "J'adore leur façon de
filmer la réalité, la société. Et puis les frères, c'est la Belgique ! Je trouvent qu'ils filment avec une infinie subtilité notre pays." Face à elle, Thomas Doret évoque le Jean-Pierre
Léaud des "400 Coups" , par son air entêté et sa diction péremptoire.
Pour la première fois, les Dardenne introduisent de la musique dans leur film, pour marquer l'ouverture de chaque nouveau chapitre. Cette scansion musicale
renforce l'aspect de conte de cette histoire, où le caïd jouerait le rôle d'un ogre rabougri et Samantha celui de la fée. Peut-être moins puissant que "Rosetta" ou "Le
Fils", "Le Gamin au vélo" se voit néanmoins avec bonheur, à la fois pour le plaisir renouvelé d'un cinéma intelligent et honnête, et pour la découverte d'un optimisme rare chez
ses réalisateurs.
Cluny
Par Cluny
-
Publié dans : critiques de mai 2011
-
1
Mardi 24 mai 2011
2
24
/05
/Mai
/2011
04:58
Film américain de Terrence Malick
Interprètes : Brad Pitt (M. O'Brien), Jessica Chastain (Mme O'Brien), Sean Penn (Jack
adulte)
Durée : 2 h 08
Note : 7/10
En deux mots : Malick obtient la Palme d'Or davantage pour le chef d'oeuvre qu'aurait pu être ce film et que laisse entrevoir certaines scènes que pour l'objet
filmique inégal qu'il est finalement.
Le réalisateur : Né en 1943, Terrence Malick qui signe là seulement son cinquième film est déjà
un mythe, à l'image d'un Kubrick ou d'un Salinger. Il réalise en 1974 «La Balade sauvage», qui révèle Martin Sheen
et Sissy Spacek, puis en 1978 «Les Moissons du Ciel». Il faudra attendre vingt ans pour son troisième film «La Ligne rouge», d’après le roman de James Jones, avant de
découvrir en 2006 "Le Nouveau Monde".
Le sujet : Jack est le premier de trois garçons, élevé par une mère aimante et complice, dans une petite ville de l'Amérique des années 50. Avec
ses frères, il subit l'éducation de leur père qui leur enseigne l'individualisme et la combativité pour affronter la dureté du monde. Progressivement, Jack se met à haïr son père...
La critique : Il aura fallu un festival de Cannes d'une apparente très grande intensité pour me sortir de ma retraite critique, et il est
symbolique que ce soit un film du plus fugace des grands réalisateurs vivants qui soit l'objet de ce retour. Annoncé depuis des années, programmé au festival de Cannes de l'an dernier et retiré
au dernier moment, "The Tree of Life" était présenté comme le "2001, l'Odyssée de l'Espace" de Malick, analogie légèrement pléonastique quand on sait combien, au-delà de
l'assonnance, on a souvent associé Malick à Kubrick.
On comprend aisément ce qui a motivé cette comparaison : la dimension métaphysique posée par le long -très long- passage qui suit la mort du fils (ce n'est pas un
spoiler, cet événement arrive dans les 10 premières minutes), avec un maelstrom d'images mélant l'infiniment grand et l'infiniment petit, le big bang et la comète tueuse, le minéral et le
végétal. Aux grands singes inventant l'outil fait écho le vélociraptor découvrant la pitié, et à la B.O. des deux émarge la musique de Ligeti. Pourtant, cette demi-heure d'images d'une beauté
époustouflante finit par devenir aussi soporifique que le diaporama des vacances de Tata Suzanne, la faute à sa durée, certes, mais surtout à l'impression de répétition qu'induit un rythme
toujours semblable.
Auteur de la B.O., Alexandre Desplats explique : "La consigne la plus importante que Terrence m'ait donné, c'est que la musique devait couler comme un
torrent d'eau". Il n'avait d'ailleurs vu que quelques images, et les deux heures de musique qu'il a composée ont été données à Malick "afin qu'il s'en serve comme un outil de sa palette
artistique", au même titre que les morceaux de Bach, Berlioz, Brahms, ou Smetana. Cette impression d'écoulement est parfaitement palpable, aussi bien auditivement que visuellement, à l'image
de ce plan de vitraux en colimaçon, ou de celui de la cascade qui reprend cette spirale.
Cette croyance jupiterienne en la puissance des images représente la grandeur et la faiblesse de ce film. La grandeur, parce que Malick réussit à raconter en
trois plans elliptiques des moments d'une violence inouie, comme l'annonce de la mort du fils, qui m'évoque le superbe plan séquence chez Spielberg de l'arrivée de la voiture de l'armée chez
Mme Ryan. Le mouvement perpétuel de la caméra qui virevolte autour des personnages trouve son prolongement dans la science achevée du montage que manifeste une nouvelle fois Malick, et la
musique s'inscrit ici à la fois comme un lien naturel et comme un contre-point, sans jamais sombrer dans l'illustration redondante.
Mais cette foi aveugle en son cinéma présente aussi une lacune. Je qualifiais "Le Nouveau Monde" d'opéra ; "The Tree of Life" évoque plutôt le
"Boléro" par sa structure uniforme et répétitive, et le manque de rupture de rythme comme celle marquée par la scène magnifique de la présentation de Pocahontas à la cour finit par
peser. La volonté de filmer de la même façon en plans de quelques secondes l'impalpable et le trivial tenait du pari, mais elle ne parvient pas finalement avec l'appui de la seule virtuosité
à combler la carence narrative.
Quant au reproche fait à Malick d'avoir soumit l'ensemble à un préchi-précha religieux, je n'y adhère pas. Il y a certes la phrase dite par la voix off au
début : "Il y a deux voies dans la vie, celle de la nature, et celle de la grâce". Il y a bien cette fin à la tonalité New Age. Mais si on comprend la grâce comme une faveur
imméritée accordée à l'homme par Dieu, alors il semble que les "faveurs" racontées ici ne manifestent pas une approbation inconditionnelles des dogmes les plus conservateurs. J'ai lu aussi
des interprétations comme quoi la mère représenterait la grâce, et le père la nature. Quand on voit comment depuis son premier film, Malick vénère la beauté de la nature, il me paraît
difficile de l'identifier à ce père brutal et destructeur, lointain écho des colons du "Nouveau Monde".
La Palme d'Or a souvent récompensé des grands réalisateurs pour des films qui avec le temps n'apparaissent pas comme leurs chefs d'oeuvre. C'est visiblement
une nouvelle fois le cas, et "The Tree of Life" se situe pour moi en deça des "Moissons du Ciel" et du "Nouveau Monde". Mais préférer donner la statuette de
chez Chopard pour la première fois à Terrence Mallick plutôt qu'une troisième fois aux frères Dardenne me semble n'être que justice. Et puis, s'il fallait encore trouver une
justification, il suffit de se dire que n'importe lequel des plans de ce film surpasse, et de loin, la somme de toutes les scènes de "Farhenheit 9/11" et d'"Oncle Boonmee".
Cluny
Par Cluny
-
Publié dans : critiques de mai 2011
-
0