Jeudi 21 mai 2009
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Film espagnol de Pedro Almodovar
Titre original : Los abrazos rotos
Interprètes : Penelope Cruz (Lena), Lluis Homar (Mateo Blanaco/Harry Caine), Blanca Portillo (Judit), Jose-Luis Gomez
(Ernesto Martel)
Durée : 2 h 09
Note : 7,5 /10
En deux mots : Un Almodovar légèrement en panne, ça reste un film intéressant.
Le réalisateur : Né en 1949 dans la Mancha, Pedro Amodovar a commencé dans les dernières années du franquisme à tourner des films en super 8, à
jouer au théâtre et à participer à un groupe punk-rock. En 1980, il réalise son premier long-métrage "Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier", suivi en 1982 du "Labyrinthe des
passions", en 1987 de "La loi du désir" et en 1988 de "Matador", qui révèle Antonio Baderas. Avec Victoria Abril, il tourne "Attache-moi" (1989), "Talons
aiguilles" (1991) et "Kika" (1993).
Il rencontre un succès mondial avec "Tout sur ma mère" en 1998 (Prix de la mise en scène à Cannes) et "Parle avec elle" en 2001. En 2004, il
quitte l'univers féminin pour revenir sur son enfance dans une institution religieuse avec "La mauvaise éducation", mais il y revient en 2006 avec "Volver".
Le sujet : Depuis un accident de voiture 14 ans auparavant qui l'a rendu aveugle, le réalisateur Mateo Blanco se fait appeler Harry Caine et écrit
des scénarios, aidé par son ancienne directrice de production, Judit, et son fils Diego. Quand resurgit du passé un jeune homme qui veut l'engager pour écrire un scénario, et quand Diego fait un
malaise alors que sa mère est en province, il se décide à lui raconter enfin ce qui s'est passé 14 ans auparavant.
La critique : On ne saurait reprocher à Pedro Amlodovar de se répéter, ou alors on serait bien niais de ne pas avoir
repéré dans ses seize films précédents les thèmes récurents tels que l'homosexualité, l'absence douloureuse des pères, la place des femmes au centre de l'intrigue, les secrets de familles ou la
symbolique des couleurs. Pourtant, pour la première fois depuis quatre films, je ne suis pas sorti de la salle avec le souffle coupé, et l'impatience irrépressible d'avoir le DVD pour disséquer
la composition de chaque plan ou les arcanes flamboyantes du scénario, et si j'ai été emporté plusieurs fois par l'émotion, j'ai aussi regardé deux ou trois fois ma montre.
Difficile de dire pourquoi ces "Etreintes brisées" ne procurent pas la même impression que "Tout sur ma Mère" ou "Volver", car on y
retrouve les mêmes ingrédients, à commencer par la construction alambiquée du scénario, dont on sait l'importance que lui confère Almodovar dans la qualité d'un film. Il nous en donne d'ailleurs
une leçon malicieuse dans une scène où Diego, encouragé par Harry, élabore en quelques phrases un synopsis à la "Twilight", où des vampires "non prosélytes" font fortune dans le commerce
de l'écran total et où ils sont victimes d'érections dentaires.
Comme dans ces films précédents, il joue à merveille des retours en arrière, des récits imbriqués et de la multiplicité des traces, avec l'utilisation au générique
des images du combo où des doublures attendent de céder leur place à Penelope Cruz ou à Lluis Homar, celles du making-off en video que tourne un Ernesto Junior affublé de la perruque d'Anton
Chigurh, celles du film que tourne Lena sous la direction de Mateo et qui est la copie de "Femmes au bord de la crise de nerfs", les quelques images de "Voyage en Italie" vu en
amorce d'une scène où la caméra se concentre sur les larmes qui envahissent le visage de Lena, la déclaration de rupture que Lena post-synchronise sur sa propre image video projetée par un
Ernesto fou de jalousie, ou encore les différentes photos, celle de la plage de Lanzarote ou celles émiettées qui gisent au fond du tiroir depuis quatorze ans.
Il y a aussi ces idées fulgurantes, comme les larmes de Lena tombant sur une tomate rouge sang, la scène d'amour sous le drap qui symbolise le linceul auquel sont
promis les deux protagonistes, ou cette autre scène d'amour filmée derrière la banquette du canapé d'où n'émergent que la vague du dos de Mateo et le pied de son éphémère conquête, alors que
trône sur l'étagère du fond la fusée de Tintin.
A l'image de Woody Allen devenant aveugle avant le tournage dans "Hollywood Ending", le double de Pedro Almodovar se voit châtié d'avoir préféré son
actrice à son film par la perte de la vue. Almodovar illustre en permanence cette perte du sens primordial, avec ses plans de doigts courant sur du braille, la lecture de la nécrologie d'Ernesto
Martel par la voix synthétique de l'ordinateur de Mateo, ou le réflexe qui amène l'aveugle à regarder dans le judas. Ernesto, le producteur occasionnel, ne sait pas lire le langage des images, et
il doit avoir recours à une interprète qui lit sur les lèvres de Lena et Mateo ce qu'il ne veut pas entendre.
Je partage l'avis de Thomas Sotinel dans "Le Monde" sur le déséquilibre qu'apporte l'interprétation fade de Lluis Homar, qui jouait Berenguer dans "La
Mauvaise Education". Déséquilibre, car en face il y a Penelope Cruz, une nouvelle fois impressionnante, que ce soit en secrétaire, en "Belle de Jour" ou en "Sabrina", et
une nouvelle fois, ce sont les actrices qui portent le film, les fidèles comme Blanca Portillo, Lola Duenas, Angela Molina, ou même Chus Lampreave ou Rossy de Palma qui n'ont qu'une
scène.
Mise en abyme constante des difficultés d'écrire et de filmer, "Etreintes brisés" semble parfois souffrir de cette impuissance, et il manque quelque chose
à ce film pour le mettre au niveau des précédents. Il est un peu à l'image du puzzle des photographies déchirées que tente de reconstituer Diego, chaque morceau est fascinant mais l'ensemble
présente un aspect rafistolé. Néanmoins, rien que pour certains de ces morceaux, ce dix-septième film d'Almodovar présente bien plus d'attraits que la plupart des films actuellement à
l'affiche.
Cluny