Film américain de Sam Mendes
Titre original : Revolutionary Road
Note : 8/10
En deux mots : Tragédie du quotidien réalisée au scalpel par un Sam Mendes plus cruel que jamais, et servie par deux très grands acteurs.
Le réalisateur : Né en 1965 en Angleterre, diplômé de Cambridge, Sam Mendes a commencé au théâtre. Engagé par la Royal Shakespeare Company en 1992, il monte aussi plusieurs pièces à Broadway. Spielberg lui confie la réalisation de "American Beauty" en 1999. Il tourne "Les Sentiers de la Perdition" en 2002, avec Tom Hanks et Paul Newman, puis en 2006 "Jarhead, la fin de l'innocence" sur la première guerre du Golfe.
Le sujet : Frank et April Wheeler forment un couple admiré de tous, dans la banlieue résidentielle où ils vivent depuis des années avec leurs deux enfants. Lui, ancien combattant de la seonde guerre mondiale, travaille dans des bureaux dans le centre ville ; elle reste au foyer depuis l'échec de sa carrière d'actrice de théâtre. Le jour de ses trente ans, alors que Frank a couché avec une secrétaire, April lui propose de réaliser son rêve : s'installer à Paris où elle gagnerait suffisamment d'argent pour lui permettre de trouver sa voie.
On comprend que des années se sont écoulées, qu'ils sont mariés et qu'ils ont des enfants. On comprend surtout à la lumière de cette ellipse magistrale que ce n'est pas la chronique du bonheur conjugal qui sera le sujet du film. D'emblée, le spectateur est plongé dans la contradiction de ce couple, entre un amour qui a existé, basé sur une ambition commune, et qui ne demande qu'à se raviver, et la banalité du quotidien qui devient d'autant plus insupportable à April que ses voisins magnifient unanimement cet american way of life.
Cette banalité est illustrée par la séquence montrant le trajet de Frank de son pavillon à son bureau, où perdu dans une foule de clones habillés comme lui, costard-cravate et chapeau mou, il suit le flot semblable à celui des ouvriers de Metropolis, pour atterrir dans un bureau open space où entre deux cigarettes, il fait semblant de vendre des machines Knox dont il est incapable de préciser l'usage.
Je soupçonne d'ailleurs le malicieux Sam Mendes d'avoir casté des acteurs aux trognes improbables, comme le couple de voisins qui se proclament leurs meilleurs amis, les collègues de bureau de Frank, ou la Mademoiselle Jeanne avec laquelle il couche pour oublier son changement de décade, tout ça pour opposer encore d'avantage le commun des mortels aux Wheeler, "un couple sensationnel, tout le monde le dit", incarnés par les icones Leo et Kate dont l'amour est cinématographiquement légitimé depuis dix ans. Rajoutons pour ceux qui ne sont pas abonnés à Closer que Kate Winslet est Madame Mendes à la ville, et l'on comprendra peut-être ce qui a pu attirer le réalisateur d'"American Beauty" dans cette adaptation du roman de 1961 de Richard Yates.
Je me suis interrogé au début du film pour savoir justement ce que celui qui avait dynamité la middle class dans "American Beauty", égalé Scorcese et Coppola dans "Les Sentiers de la Perdition", et rejoué un Desert des Tartares burlesque dans "Jarhead, la fin de l'innocence", venait faire dans ce récit linéaire et apparemment répétitif d'un couple qui se déchire. Et puis rapidement, la cruauté ironique de Sam Mendes apparaît dans le détail, Shep en pyjama et Milly qui pleure, ou le choix de l'immense Kathy Bates, incarnation pour l'éternité de la menace psychopathe depuis son rôle d'Annie Wilkes dans "Misery" pour jouer Helen, la voisine agente immobilière.
Et puis, la chronique un peu lisse bascule avec l'apparition de John, le fils d"Helen, qui bénéficie d'une permission de sortie de son asile d'aliénés, et qui joue le rôle de l'oracle au cours d'un repas organisé par compassion par April, proclamant notamment : "Beaucoup sont conscient du vide, mais il faut du cran pour savoir que c'est sans espoir". La prestation hallucinée de Michael Shannon, véritable sommet du film, a d'ailleurs été remarquée par l'Academy, puisqu'il a été sélectionné aux oscars dans la catégorie Meilleur second rôle masculin - malheureusement sans grande chance, puisqu'opposé à Heath Ledger.
Dans le Monde, Thomas Sotinel qui n'a pas du tout aimé le film, écrit : "Arrivé au générique de fin, il ne reste rien du souvenir des amants du Titanic, seulement un goût de cendres. C'est peut-être la vraie raison d'être de ce film." Hypothèse intéressante, et corroborée par la scène où Kate s'abandonne à un éjaculateur précoce dans une voiture bien moins glamour que celle des cales du paquebot de James Cameron. Mais cet autodafé -à moins que ce ne soit un exorcisme, vu les liens conjugaux des Mendes - représente bien la principale force de ce film, servi par deux acteurs au sommet de leur art : Leo légèrement empâté, ordinairement lâche, jouant comme un reflet déformé de lui-même, et Kate à fleur de peau, tragédienne enfermée dans le costume de Samantha Stephens, et qui a déjà raflé le Golden Globe.
J'entendais à la sortie du film deux spectatrices déçues (proche réminiscence de la deuxième scène du film). Elles espéraient "Titanic II, le retour" ; elles avaient eu le droit à un film d'auteur austère et intelligent, un film qui se mérite. Tant pis pour elle, et tant mieux pour moi.
Cluny
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