Film allemand de Florian Henckel von Donnersmarck
Interprètes : Sebastian Koch (Georg Dreyman), Martina Gedeck (Christa-Maria Sieland), Ulrich Mühe (Hauptmann Gerd Wiesler), Ulrich Tukur (Grubitz)
Durée : 2 h 17
Note : 8/10
En deux mots : Une petite histoire permet d'illustrer la grande histoire, avec en prime, un suspens passionnant.
Le réalisateur : Descendant d'une famille noble de Silésie, Florian Henckel von Donnersmarck est né en 1973 à Cologne. Il a passé une partie de son enfance à New York. Après des études de littérature à Leningrad puis à Oxford où il rencontre Richard Attenborough, il suit les cours de l'Académie de cinéma et de télévision de Münich.
L'histoire : En 1984, le Ministre de la Culture de la R.D.A. veut se débarasser du dramaturge Georg Dreyman, parce qu'il est attiré par sa compagne, l'actrice Christa-Maria Sieland. Il charge le colonel Grubitz de la Stasi d'organiser les écoutes de leur appartement, afin de réussir à compromettre cet auteur qui a toujours été dans la ligne, malgré son amitié pour des artistes frappés d'interdiction professionnelle. Révolté par le suicide de l'un d'entre eux, il écrit un pamphlet contre l'état policier est-allemand et décide de le faire parvenir au "Spiegel" à l'Ouest. Wiesler, l'officier de la Stasi jusqu'alors irréprochable et qui est chargé de les surveiller, se met à cacher les informations compromettantes à ses supérieurs.
La critique : "La Vie des Autres", c'est la vie des 17 millions de citoyens de la République Démocratique Allemande, que la tristement célébre Sécurité Intérieure, la Stasi, avait pour mission d'espionner. 100 000 membres et 200 000 collaborateurs réguliers étaient chargés de cette mission, et de compiler tout cela dans des rapports soigneusement archivés. Quand après la chute du Mur, Georg obtient le droit de consulter son dossier, ce sont des dizaines de classeurs que l'archiviste admiratif lui amène. Le sens de cette espionnite était initialement de défendre l'état socialiste contre ses ennemis. Mais bien vite, et en tout cas après 40 ans de R.D.A., ce système policier fonctionnait surtout pour servir les intérêts privés de l'oligarchie dominante ; plus personne ne croit à une idéologie, seule la peur permet à ce système bureaucratique obsolète de survivre.
Le film commence par un interrogatoire mené par Wiesler, celui d'un pauvre type qui avait le tort d'être le voisin et peut-être l'ami d'un transfuge à l'Ouest. Cette séance est enregistrée, et sert de support au cours que Wiesler donne à l'Académie de la Stasi, et où il suffit qu'un étudiant pose une question dérangeante pour qu'en face de son nom, le prof trace une croix. Wiesler est donc un policier modèle, excellent technicien de son sale boulot, sans état d'âme. Quand il rencontre Georg l'intellectuel, avant même que le ministre lui en donne l'ordre pour exercer son droit de cuissage, il perçoit une menace et propose de le mettre sur écoute. Il s'acquitte de cette mission comme des autres, avec efficacité et sans ménagement pour ses subordonnés.
Durant tout le début des écoutes, avant que le destin ne fasse basculer Georg, le film nous montre en parallèle les vies des deux hommes : quand le dramaturge fait l'amour avec sa compagne (noté au rapport : "accouplement probable"), Wiesler le solitaire a le droit à une pute du ministère, qui vient faire sa tournée et ne peut pas rester, le camarade capitaine ne l'ayant pas réservée plus longtemps. Quel est exactement le chemin de Damas de Wiesler : la pitié qu'il éprouve pour Christa-Maria obligée de se donner au ministre adipeux ? l'écoute du "concerto pour un homme bon", joué par Georg en hommage à son ami suicidé ? Toujours est-il que du jour où il omet de consigner un fait anodin dans son rapport, il accepte un engrenage qui lui vaudra une rélégation dans une cave où son supérieur lui promet en 1985 de passer les vingt années à venir.
Tableau implacable de ce système de peur et de délation, "La Vie des Autres" est aussi un suspens passionnant, un jeu du chat et de la souris -ou plutôt de poule-renard-vipère, vu qu'il y a trois protagonistes. On oublie les 2 h 17 du film, grâce à une intrigue habilement ficelée, à une reconstitution soignée (il ne manque pas une Trabant !) et un excellent jeu des acteurs : Sebastian Koch, vu dans "Black Book", Ulrich Mühe, acteur de Haneke, et Ulrich Tukur, aperçu dans "Solaris" et "Le Couperet". Il aura fallu attendre les 126° et 128° critiques clunysiennes pour y voir figurer des films allemands ; bien que très différents ("Pingpong" est un récit intimiste alors que "La Vie des Autres" est un film à suspens politique), ces deux premières oeuvres semblent confirmer le renouveau du cinéma d'Outre-Rhin.
Cluny
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