Film américain de Francis Ford Coppola
Titre original : Youth Without Youth
Interprètes : Tim Roth (Dominic Mattei), Anna Maria Lara (Veronica/Laura), Bruno Ganz (Professeur Stanciulescu)
Durée : 2 h 05
Note : 8/10
En deux mots : Patchwork gothique autour du thème de Frankenstein, la marque d'un géant.
Le réalisateur : Né en 1939 à Detroit, Francis Ford Coppola entre au département cinéma de l'UCLA. En 1963, Roger Corman lui permet de tourner son premier long métrage : "Dementia 13". Il écrit ensuite des scénarios, dont celui de "Paris brûle-t-il ?" en 1966. Le succés du "Parrain" en 1972 lui permet de tourner "Conversation secrète", qui obtient le Grand Prix au Festival de Cannes en 1974. Deux ans après, il emporte la Palme d'Or avec "Apocalypse Now". Suivent ensuite "Le Parrain" 2 et 3, 'Outsiders" (1983), "Rusty James" (1984), "Cotton Club" (1985), "Tucker (1988), "Jardins de Pierre" (1989), "Dracula" (1993) et "L'Idéaliste" (1998). Depuis, il s'est surtout consacré à la production, notamment des films de sa fille Sofia et de son fils Roman.
Le sujet : Agé de 71 ans, le professeur de linguistique Dominic Mattei est frappé par la foudre le jour de Pâques 1939 devant la Gare du Nord à Bucarest. Soigné par le
Pr Stanciulescu, il manifeste très vite des signes de rajeunissement, ainsi que des capacités cérébrales exceptionnelles qui intéressent l'Allemagne nazie. Dominic est obligé de fuir de pays
en pays tout en écrivant le livre de sa vie sur l'origine du langage. Au cours de son errance, il croise une jeune femme qui ressemble à son amour de jeunesse, et qui a son contact, se met à
parler des langues de plus en plus anciennes.
La critique : En allant voir "L'Homme sans Age", j'ai ressenti un peu la même émotion que celle que j'avais éprouvée en allant voir
"Full Metal Jacket" ou "Eyes Wide Shut" : après des années de latence, le plaisir de découvrir l'oeuvre d'un très grand réalisateur, et de recevoir un film comme on n'en
fait plus, comme un écho de passé du cinéma. Ce qui paraîtrait insupportablement prétentieux venant d'un jeune réalisateur semble ici pleinement légitime venant de celui qui a adapté "Au
Coeur des Ténèbres" dans la jungle cambodgienne, et l'exubérance de certains plans et de certaines scènes s'inscrit dans la construction d'un univers qui prolonge à la fois l'oeuvre de
Coppola, et cite en même temps de nombreuses références, de Hamlet à "Citizen Kane".
Premier plan, ouverture au noir, avec juste le tic-tac d'une montre. Une image floue, avec des sortes de lucioles scintillantes, qui laissent deviner un mécanisme d'horlogerie, puis un crâne
distordu, comme une anamorphose d'Holbein. Une voix off dit "Mon seul et unique livre... Je n'ai rien été, et je vais mourir seul" Puis un vieil homme hagard en pyjama erre
sous la neige, comme Salieri au début d'"Amadeus". Une rose rouge, Rosebud de ce récit, apparaît sur un fond noir, et un titre à l'ancienne s'incruste. Comme dans la
suite du film, à l'ère du tout numérique, Coppola est plus proche de Meliès que de Lucas : image renversée, filtre mordorée ou violine, nuit américaine expressionniste, plongées et
contre-plongées vertigineuses, split screen à la Matisse, avec des miroirs montrant des images décalées par rapport aux modèles qu'ils sont censés renvoyer.
Alors certes, l'histoire vire un peu à l'ésotérisme new-age, sans doute plus du fait de la nouvelle de Mircea Eliade, "Le Temps d'un
centenaire", dont elle est adaptée, que de la volonté de Coppola, qui s'est dit séduit par l'aspect de conte à la Borges de cette histoire : "Il y a de l’action et en même temps, le
personnage ne cesse de réfléchir aux implications philosophiques de ce qui lui arrive. Je pensais donc que ça pouvait donner un film existant sur plusieurs niveaux de lecture." Il y a aussi
quelques longueurs, et le récit se perd un peu à l'instar de son héros. Coppola revendique d'ailleurs ce rythme : "Quand je regarde les clips vidéo avec leur montage frénétique, j’ai
immédiatement envie de prendre le contre-pied et de faire un cinéma plus lent, au tempo mesuré d’autrefois. Mais je crois par ailleurs que, quel que soit le domaine, même quand on arrive à ce qui
ressemble à un point d’achèvement, il y a encore quelque chose à faire. Les notes d’un piano sont en nombre fini, mais les mélodies sont, elles, potentiellement infinies."
Le choix de la Roumanie comme décor s'explique par la nationalité de Mircea Eliade ; mais je crois aussi que ce n'est pas un hasard, tant on retrouve par moment une ambiance gothique proche de
celle de "Dracula", tourné dans la Transylvanie voisine : le visage sanguinolent du professeur foudroyé evoque la carapace de Gary Oldman, ou la transformation nocturne de Veronika
rappelle celle de Mina. Mais les références ne se limitent pas à l'univers de Bram Stocker : Coppola va chercher aussi du côté de Frankenstein, dans le rapport entre Dominic et Stanciulescu, ou
dans le générateur de foudre construit par le savant nazi ; il pioche aussi -entre autre- dans "Le Portrait de Dorian Gray", "Citizen Kane", "Le troisième Homme",
"Le Faucon Maltais" ou "Fellini Roma".
J'évoquais Kubrick, avant de lire l'interview de Coppola dans Libération, où il dit : "Quand vous faites quelque chose d’un peu nouveau, il y a d’abord un phénomène de rejet. Je
ne m’exclus pas ce réflexe d’ailleurs. Je me suis toujours précipité pour voir chaque nouveau film de Kubrick et j’ai toujours été déçu à la première vision." Je pense que nombreux sont les
critiques qui ont boudé le film et qui dans quelques années, disséqueront en DVD des scènes comme celle où une espionne allemande couche avec Dominic, et où son identité est révélée par un motif
de la bretelle de son porte-jarretière qui se transforme lentement en croix gammée. Film de cinéaste et de cinéphile, "L'Homme sans Age" n'a été vu en deux semaines que par 85
000 spectateurs français. Dommage, surtout quand on découvre que 300 000 spectateurs sont allés voir "Saw 4" en une semaine...
Cluny
Ecrire un commentaire - Voir les 0 commentaires