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Les critiques
clunysiennes
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Amateur de cinéma depuis plus de trente ans, je vais en moyenne deux fois par semaine dans les salles obscures. Je vous propose depuis décembre 2005 mes
critiques clunysiennes sur ce blog. Comme toutes critiques, elles sont subjectives, et elles mêmes susceptibles d’être critiquées. Contrairement aux critiques professionnels, n’étant pas
masochiste, je ne vais voir que des films que je pense aimer. M'étant frotté moi-même à la réalisation, je sais ce que chaque film représente d'investissements et d'espoirs individuels et
collectifs, et je prends plus de plaisir à encenser un film qu'à le descendre.
A ce jour, il y a 528 critiques publiées dans ce blog.
Le 02/12/12 à 20:50 sur TF6
Le 09/12/12 à 20:50 sur TF1
Le 09/12/12 à 23:30 sur D8
Le 10/12/12 à 11:50 sur Orange Cinéma
Le 10/12/12 à 17:10 sur Orange Cinéma
Le 10/12/12 à 20:40 sur Orange Cinéma
Le 11/12/12 à 08:20 sur Orange Cinéma
Le 11/12/12 à 14:50 sur Orange Cinéma
Le 11/12/12 à 18:30 sur Orange Cinéma
Le 11/12/12 à 22:30 sur W9
Le 14/12/12 à 01:35 sur FX
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Film américain de Francis Ford Coppola
Interprètes : Val Kilmer (Hall Baltimore), Bruce Dern (Bobby LaGrange), Elle Fanning (V), Ben Chaplin (Edgar Poe)
Durée : 1 h 29
Note : 7,5/10
En deux mots : Francis Ford poursuit son introspection cheap et provo, recyclant tout son cinéma et au delà, divisant la critique et ravissant les cinéphiles, dont moi.
Le réalisateur : Né en 1939 à Detroit, Francis Ford Coppola entre au département cinéma de l'UCLA. En 1963, Roger Corman lui permet de tourner son premier long métrage : "Dementia 13". Il écrit ensuite des scénarios, dont celui de "Paris brûle-t-il ?" en 1966. Le succés du "Parrain" en 1972 lui permet de tourner "Conversation secrète", qui obtient le Grand Prix au Festival de Cannes en 1974. Deux ans après, il emporte la Palme d'Or avec "Apocalypse Now". Suivent ensuite "Le Parrain" 2 et 3, 'Outsiders" (1983), "Rusty James" (1984), "Cotton Club" (1985), "Tucker (1988), "Jardins de Pierre" (1989), "Dracula" (1993) et "L'Idéaliste" (1998). Depuis, il s'est surtout consacré à la production, notamment des films de sa fille Sofia et de son fils Roman, avant de réaliser en 2007 "L'Homme sans âge", suivi en 2009 de "Tetro".
Le sujet : Ecrivain d'histoires de sorcellerie en panne d'inspiration, Hall Baltimore s'arrête à Squaw Valley pour y dédicacer ses livres. Le shériff lui raconte qu'un massacre de masse a eu lieu dans la ville, et lui montre à la morgue le corps d'une jeune fille percé d'un pieu. Il lui propose d'écrire ensemble une histoire de vampires. Comme il a un besoin urgent d'argent, Baltimore accepte. Dans ses rêves, il rencontre une jeune fille nommée V qui semble avoir été témoin du meurtre d'enfants, ainsi qu'Edgar Poe à qui il demande de l'aider à trouver une fin à son histoire.
La critique : En reprenant la réalisation en 2006 avec "L'Homme sans âge" après un arrêt de 8 ans, Francis Ford Coppola s’imposa trois règles : il devait lui-même écrire le scénario ; le film devait nécessairement avoir un écho personnel - un aspect de lui-même ou de sa vie qu’il n’aurait pas compris - et devait être autofinancé afin d’en limiter le budget et de garder le contrôle absolu de sa liberté artistique. Plus encore que dans les deux premiers films de sa nouvelle carrière, ces trois conditions sont scrupuleusement respectées : le scénario est entièrement orginal, contrairement à "L'Homme sans âge" qui était adapté d'un roman de Micea Eliade ; le point nodal de l'histoire de "Twixt" est la culpabilité de Hall Baltimore qui n'a pas su empêcher l'accident de speed boat où a péri sa fille, exactement dans les mêmes conditions que celles de la mort de Gian Carlo Coppola en 1986 ; et enfin, le budget de 7 millions de dollars a permis un total contrôle du réalisateur sur tout le processus de création, et ça se voit.
"Twixt" signifie entre deux, et c'est exactement de ça dont il s'agit. Tout le film se situe entre deux choses, l'une et son contraire : entre deux temporalités, entre deux niveaux de réalité, entre la beauté revendiquée et un kitsch tranquillement assumé, entre l'hyper-référence littéraire et l'exorcisme des fractures intimes, entre Meliès et 3D. Le film se présente sous la forme d'un labyrinthe où se perd très vite le héros, et avec lui le spectateur. Ouvert sur le ton du conte "Once upon a time..." par un narrateur qui n'est autre que Tom Waits, il nous montre d'abord la banalité légèrement inquiétante d'un petite bourgade américaine, où l'épicerie vend quelques livres et où le motel ressemble à celui de "Psychose" ; le shériff fabrique aussi des nichoirs à oiseaux et se pique de prétentions littéraires. L'écrivain forcément en panne d'inspiration, forcément sur le déclin et forcément porté sur la bouteille va se laisser entraîner dans une forme de somnambulisme, avec une opposition d'abord marquée entre ce qu'il vit (couleurs chaudes) et ce qu'il rêve (nuit américaine avec quelques taches de couleur comme les rumble fishs de "Rusty James").
Il se trouve vite confronté à un double défi : démêler en quoi le passé, à savoir le massacre d'une dizaine d'enfants dans les années cinquante, explique le présent, c'est-à-dire la découverte du corps d'une jeune fille transpercé par un pieu, mais aussi parvenir à écrire une histoire. Dans cette quête, il va progressivement découvrir que la solution à ces deux difficultés se trouve autant dans sa propre histoire que dans les outils de la création qu'Edgar Poe en personne lui propose dans ses séquences rêvées. Coppola a raconté que le point de départ de son scénario est un rêve qu'il a fait à Istanbul en 2009, et qu'il a noté comme Fellini dessinait les siens. Ayant lu récemment les oeuvres complètes d'Edgar Poe, il ne s'étonna pas de le voir apparaître dans son rêve : "Je me suis demandé s’il y avait un point commun entre ma vie et celle de Poe. Manifestement nous étions tous deux hantés par un fantôme. J’ai rapidement compris que pour Poe il s’agissait de sa femme Virginia, disparue jeune, et je m’interrogeais : qui était donc le mien ?»
Edgar Poe est donc présent sous les traits de Ben Chaplin, mais aussi par de nombnreux autres indices : le nom de Baltimore, qui est celui de la ville où vécut et mourut l'auteur des "Histoires extraordinaires", le nom du pasteur, Allan Floyd, le poème de Beaudelaire, Spleen, déclamé phonétiquement en français par Alden Erhenreich qui joue Flamingo, mais encore le prénom du spectre de la jeune fille jouée par Elle Fanning, Victoria, prénom de sa femme épousée à 13 ans et morte à 25, et qui prit dans son oeuvre les traits de Lenore, Annabel Lee ou Ligeia. Edgar Poe guide donc Hall Baltimore pour la construction narrative de son livre, mais nul besoin à Coppola de mentor pour son écriture filmique. Il assume là encore le twixt, la contradiction entre la simplicité ("J’ai décidé d’arrêter presque entièrement de faire des mouvements de caméra. Dans Twixt, elle ne bouge pratiquement pas, sauf pour cinq panoramiques. J’utilise une technique visuelle où la scène s’élabore à partir d’unités de construction filmique en partant du principe que les spectateurs ne s’intéressent pas particulièrement à la mise en scène") et la complexité, voire la surcharge, multipliant les effets comme ce ciel où on distingue le mouvement des étoiles, comme quand on le photographie avec un long temps de pose. Il y a d'ailleurs beaucoup de choses autour du temps, dont un des personnages dit qu'il s'écoule autrement : le clocher de l'église avec ses sept horloges, qui indiquent toutes une heure différente, la cohabitation d'Edgar Poe, des personnages du massacre de 1955 et de Hall Baltimore, ou l'Hotel abandonné qui revit comme l'Hôtel Overlook.
Il est intéressant de noter le grand écart entre les avis des différents critiques, du "merveilleux état de grâce" des Cahiers à la "plaisanterie de carabin indigne du cinéaste" de l'Express, Télérama publiant bien sûr un pour (Jacques Morice) et un contre (Cécile Mury). Intéressant, et pas étonnant, car c'est le résultat de la démarche de Coppola, qui s'en contrefiche totalement de plaire, à la différence de tous les films de studios. C'est cette liberté absolue, perceptible à tout instant, qui donne toute sa valeur à "Twixt" et qui en justifie les excès et les boursouflures, offrant à ce film d'étudiant réalisé à 70 ans une place légitime dans la très belle filmographie du réalisateur aux six oscars et aux deux palmes d'or.
Cluny