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Les critiques
clunysiennes
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Amateur de cinéma depuis plus de trente ans, je vais en moyenne deux fois par semaine dans les salles obscures. Je vous propose depuis décembre 2005 mes
critiques clunysiennes sur ce blog. Comme toutes critiques, elles sont subjectives, et elles mêmes susceptibles d’être critiquées. Contrairement aux critiques professionnels, n’étant pas
masochiste, je ne vais voir que des films que je pense aimer. M'étant frotté moi-même à la réalisation, je sais ce que chaque film représente d'investissements et d'espoirs individuels et
collectifs, et je prends plus de plaisir à encenser un film qu'à le descendre.
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Le 21/12/12 à 01:10 sur France 2
Le 23/12/12 à 20:45 sur France 4
Film français de Tony Gatlif
Interprètes : Mamebetty Honore Diallo (Betty)
Durée : 1 h 30
Note : 7/10
En deux mots : Long et vibrant poéme visuel et musical sur les traces des exclus et des indignés de toute l'Europe.
Le réalisateur : Né à Alger en 1948 d'un père kabyle et d'une mère gitane, Tony Gatlif arrive en métropole en 1960. En 1976, il tourne son premier
film, "La Tête en ruine". Suivent (entre autres) "Les Princes" (1982), "Latcho Drom" (1993), "Gadjo Dilo" (1997), "Swing" (2001),
"Exils" (2005), qui obtient le Prix de la mise en scène à Cannes, et "Liberté" (2010), sur la
déportation des Roms.
Le sujet : Une immigrante africaine, Betty, débarque sur une plage de Grèce. Au fil de ses pérégrinations en Europe, elle cotoie la dure condition
des exclus et des sans-papiers, les effets de la crise sur les plus pauvres alors que les plus riches continuent à s'enrichir. Mais à Athènes, à Paris et à Madrid, elle assiste aussi à la montée
du mouvement des Indignés.
La critique : Le premier plan du film montre une vague qui rejette une chaussure sur le rivage, puis une autre, puis encore une autre. Une jeune femme noire semblant sortir de l'eau commence à courir, dans le mouvement inverse de celui d'Antoine Doinel ou de la Petite Voleuse avant de poursuivre sa course dans les champs. Son errance rappelle celle des héros d'"Exils", avec les mêmes paysages traversés dans le sud de l'Espagne et la même danse silencieuse pour Betty et Naïma. Mais à la différence de Zano et Naïma qui avaient un but à leur voyage vers Alger, revenir à leurs racines, Betty semble ballottée par les évènements : arrêtée à Athènes, puis à Paris où on l'expulse en Grèce à nouveau, puis l'Espagne au gré des caches dans les camions, elle ne trouve nulle part l'eldorado attendu.
Son regard candide permet de souligner l'absurdité de la toute puissance de la loi du marché : alors que partout les sans-abris dorment dans des abris de fortune, de gigantesques villes fantômes attendent leurs premiers locataires, victimes de la crise du bâtiment en Espagne. Même si la métaphore est un peu lourdement illustrée, l'image suggérée par Stéphane Hessel dans "Indignez-vous" de la liberté du renard dans le poulailler fait mouche, et un des slogans lu en Espagne me taraude : "Avez-vous élu votre banquier ?"
Dans Le Monde, Thomas Sotinel a rédigé un bien bel exercice de mauvaise foi baptisé "Indignons-nous, un seau de popcorn sur les genoux" (le cinéma
est-il réduit aux multiplex vendeurs de confiserie ? L'indignation d'un Ken Loach ou d'un Guediguian n'a-t-elle aucune légitimité, puisque projetée en salle ?), dans lequel il fait un
rapprochement avec la rétrospective des films de propagande soviétique du studio Mezhrabpom présente aux côtés d'"Indignados" à Berlin, et où il valorise l'agit prop stalienne en la
comparant à la tiédeur de l'indignation de Gatlif. Un tel raisonnement montre surtout que le critique du Monde n'a rien compris à la spécificité de ce mouvement où le réseau remplace le
parti, et où l'on proclame "Nous ne sommes pas des huîtres, nous n'adhérons à rien".
Une affiche affirme sur la Place Omonia : "Démocartie et caméra ne vont pas ensemble", et on peut comprendre ce point de vue quand on voit le traitement de ces événements par la télévision. En Grèce et en Espagne, Tony Gatlif a demandé des laissez-passer pour son équipe afin de pouvoir filmer de l'intérieur, et c'est certainement une des grandes réussites du film que de réussir à faire percevoir à ce point la force collective d'un mouvement en ne filmant quasiment que des individus. Et quand le même Thomas Sotinel assène en conclusion de son article: "Il n'est pas sûr que de ce point de vue, il fasse plus d'effet que n'importe quel journal télévisé", il passe complètement à côté de cette qualité. J'ai vécu quelques décennies de manifestations, et rarement j'avais ressenti au cinéma une telle véracité vécue de l'intérieur, à la différence des images frontales et exterieures des J.T.
Avec très peu de dialogues, aucune voix off, le film repose sur les images et la musique, ainsi que sur quelques procédés godardiens (époque "La Chinoise")
comme ces titres de couleurs qui se superposent à l'image, ou ce flamenco au milieu d'un squatt sous une pluie de tracts multicolores. Le recours à la caméra portée et le rythme du montage qui
alterne scènes réalistes et allégories, comme une envolée de journaux ou une pluie d'oranges dévalant la rue, hommage au marchand d'agrumes Mohamed Bouazizi dont l'immolation a déclenché la
révolution tunisienne, tout cela donne un style entre documentaire, poésie et fiction qui convient finalement bien à ce fourre-tout libertaire. La musique de Delphine Mantoulet et Valentin
Dahmani, mélangeant musique arabo-andalouse, gitane ou autre (la Complainte de la Butte) épouse parfaitement les ruptures de rythme du récit.
Boudé par la critique de la gauche bien-pensante, "Indignados" possède les qualités de sincérité et de poésie des meilleurs films de Gatlif ("Exils" et "Liberté"). A la manière du mouvement qu'il décrit, non-violente et indignée, ce film trouve sa place aux côtés de ces films témoins des changements de notre époque, comme "Les Mains en l'air", "Welcome" ou "Les Chats persans".
Cluny