Film sud-coréen de Hong Sang-soo
Interprètes : Isabelle Huppert (Anne), Yu Jung-sang (Le maître-nageur), Hyehyo Kwon (Jongsoo)

Durée : 1 h 29
Note : 7/10
En deux mots : Exercice de style lost in simple english pompette, léger et grave.
Le réalisateur : Né en 1960 à Séoul, Hong Sang-soo a étudié la mise en scène à l'université de Chungang, à Séoul, avant de partir au College of Arts and
Crafts de Californie et à l'Art Institute de Chicago. Il commence par réaliser des films pour la télévision, avant de tourner pour le cinéma "Le Jour où le cochon est tombé dans
le puits" en 1996. En 1998, il présente à Cannes "Le Pouvoir de la province de Kangwon", puis en 2000 "La Vierge mise à nu par ses prétendants". En 2003 il réalise deux
films : "Turning Gate", et "La Femme est l'avenir de l'homme". Suivent "Conte de cinéma" (2005), "Night and day" (2008), "Les femmes de mes amis"
(2009) et "Matin calme à Séoul" (2011).
Le sujet : Une jeune femme écrit les scénarios de trois courts métrages, avec comme personnage central une Française qui s'appelle à chaque fois Anne et qui se retrouve dans la
petite ville balnéaire de Mohang-ni. Chacune a une situation précise : l'une est une réalisatrice en visite en Corée, l'autre attend son amant coréen, la dernière se remet d'une séparation. Elles
rencontrent divers personnages : un maître-nageur, un voisin réalisateur, un moine, une amie coréenne...
La critique : "In another country" est le neuvième film sud-coréen de ces critiques, et le premier de Hong Sang-soo, ce qui en dit d'ailleurs long sur la vitalité du
cinéma du pays du matin calme, puisque seul Lee Chan-dong a eu le droit à deux critiques pour "Secret Sunshine"
et " Poetry". Ce treizième film de Hong Sang-soo aurait pu s'appeler
" Three Times", puisque comme dans le film d'Hou Hsiao-Hsien, il met en scène trois femmes jouées
par la même actrice, et que comme lui, il ne s'agit pas vraiment d'un film à sketchs ni même de la compilation de trois courts métrages mais bien d'une oeuvre ayant sa cohérence propre. On voit
d'ailleurs au début une jeune femme et sa mère coincées dans la station balnéaire où se déroulera l'intrigue qui évoquent la reddition d'un oncle dont on ne saura plus rien, puis la jeune femme
qui prend un bloc et commence à rédiger le scénario du premier épisode.
Les trois femmes sont françaises et s'appellent toutes Anne, et peuvent apparaître comme les déclinaisons d'une même personne confrontée à diverses situations. Chacune a comme point commun d'arriver dans la même chambre d'hôte, de demander un parapluie à la logeuse, et sur ses conseils d'essayer de trouver la principale curiosité du coin, à savoir un petit phare, lighthouse en anglais. Toutes rencontreront un maître-nageur-serveur de barbecue à l'anglais rudimentaire, et toutes goutteront avec plus ou moins de modération au soju, l'alcool de riz coréen. Ce principe de répétition n'a rien de pesant, bien au contraire, puisqu'à chaque fois la structure change, et que c'est justement les variations qui deviennent intéressantes.
Autour d'Anne et du maître-nageur gravitent des personnages, certains récurrents comme le réalisateur coréen et sa femme enceinte et jalouse, la logeuse au
parapluie, et d'autres spécifiques à un épisode, comme l'amant coréen dont l'apparition est elle-même déclinée (rêvée ?) trois fois, l'amie coréenne qui lors de la visite d'un temple lui explique
que la prière aide faire taire "les milliers de singes qui bavardent dans nos têtes", ou le moine qui tente de répondre aux questions impatientes et capricieuses d'Anne. Il y a un jeu
subtil sur la langue, Anne et ses interlocuteurs coréens partageant un anglais plus ou moins maîtrisé et soutenu par des gestes (on voit toutes les façons de mimer un phare), et on se délecte du
va-et-vient entre les commentaires en coréen et ce qu'en devine Anne.
Hong Sang-soo a visiblement un style bien à lui, fait de libertés avec les canons du cinéma, et particulièrement vis-à-vis des sacro-saintes règles des raccords : au raccord dans l'axe il préfère le coup de zoom qui isole un personnage dans un plan large, et il n'hésite pas à s'affranchir dans la foulée des raccords de direction et de la règle des 180°, de même qu'il peut couper un plan en plein au milieu du mouvement d'un personnage. C'est un peu déroutant au début, mais on s'y fait très vite en se rendant compte que cet usage grammatical particulier participe de l'ambiance un peu suspendue de l'intrigue elle-même.
Isabelle Huppert n'a eu visiblement eu aucun mal à se glisser dans le style et la méthode particulière d'Hong Sang-soo (équipe réduite, dialogues glissées sous la porte chaque matin), et on sent son plaisir à accepter de frôler le ridicule (courir à petits pas, tituber sous l'effet du soju) ; en face d'elle, on remarque surtout Yu Jung-sang, acteur fétiche de Hong Sang-soo, qui incarne le maître-nageur qui semble aussi perdu que la visiteuse étrangère. Semble-t-il, Hong Sang-soo fait toujours un peu le même film à l'allure rohmerienne. Pour une première approche, je ressors plutôt charmé par une identité originale indiscutable, un mélange délicat d'humour et de gravité, et un sentiment de volatilité franchement agréable.
Cluny
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