Film français de Claude Miller
Interprètes : Audrey Tautou (Thérèse Desqueyroux), Gilles Lellouche
(Bernard Desqueyroux), Anaïs Demoustier (Anne), Chaterine Arditi (Mme De la Trave)
Durée : 1 h 48
Note : 8/10
En deux mots : Le dernier film de Claude Miller, point d'orgue très réussi d'une oeuvre qui nous a accompagnés durant quarante ans.
Le réalisateur : Né en 1942 à Paris dans une famille juive ashkénaze, Claude Miller entre à l'IDHEC en 1962. Il est assistant réalisateur pour Jean-Luc Godard, Robert Bresson ou Jacques Demy, puis directeur de production pour François Truffaut. Après trois courts métrages, il tourne son premier long en 1975, "La meilleure Façon de marcher", puis en 1977 "Dites-lui que je l'aime". Il rencontre son premier grand succès en 1981 avec "Garde à Vue". Suivent "Mortelle Randonnée" (1983), "L'Effrontée" (1985), "La petite Voleuse" (1987), "L'Accompagnatrice" (1992), "La Classe de Neige" (1998), "Betty Fisher et autres histoires" (2001), "La Petite Lili" (2003), "Un Secret" (2007) et " Marching Band" (2009).
La critique : A bien y regarder, les meilleurs films de Claude Miller racontent tous l'histoire d'une femme en butte avec son environnement : "L'Effrontée", "La petite Voleuse", "La Petite Lili", et il n'est finalement pas étonnant que quand son producteur Yves Marmion lui a proposé d'adapter une oeuvre de François Mauriac, ce soit vers "Thérèse Desqueyroux" qu'il se soit tourné pour entreprendre ce qu'il savait être son dernier film. A sa façon de capter les émois de cette femme qui méprise les conventions, se réfugie dans la lecture pour fuir la trivialité de son milieu et observe la pétrification d'un monde prêt à disparaître, il aurait pu dire tel Flaubert, "Thérèse Desqueyroux c'est moi" ; comparaison renforcée par le fait qu'il y a de l'Emma Boravy dans ce personnage, certes mâtinée d'un peu de Marie Besnard.
Déjà à ma génération, on ne lisait plus François Mauriac, trop vieux, trop gaulliste. Je me suis donc plongé pour la première fois dans une de ses oeuvres dans la perspective de cette critique, et si le style m'a semblé effectivement d'une autre époque, la férocité de la dénonciation des convenances bourgeoises et machistes m'a séduit. Claude Miller a fait le choix judicieux de ne pas reprendre la structure en flash back du roman ; chez Mauriac, le récit commence avec le non-lieu de Thérèse, et plus de la moitié du livre est constitué des pensées de son héroïne alors qu'elle rentre à Argelouse retrouver son mari. Il lui a préféré une structure linéaire, partant de l'amitié adolescente entre Anne et Thérèse, gommant un peu trop le léger mépris de Thérèse pour sa future belle-soeur, et déroulant chronologiquement le fil de l'histoire, jusqu'à la même scène finale au Café de la Paix.
Il a par contre été extrêmement fidèle aux dialogues (dès la première scène, le "Mettez vos gilets, c'est une glacière" de Tante Clara) et à certains détails, comme la façon d'Anne de caresser de ses lèvres l'alouette qu'elle vient d'abattre avant de lui tordre le cou. Du fait de cette fidélité, la réussite du film reposait sur la capacité des acteurs à mettre ces dialogues en bouche, à donner l'impression qu'ils viennent naturellement. Pari réussi, déjà pour Audrey Tautou qui incarne le mélange d'obstination douloureuse et de vulnérabilité de celle dont Mauriac disait que son drame était celui de l'inadaptation à la vie. Filmé souvent dans la pénombre ou à contre-jour, son visage buté en dit plus encore que l'impertinence de ses saillies.
Bernard justement, joué par Gilles Lellouche qui disait hier à l'avant-première qu'il pensait que "Thérèse Desqueyroux" était son plus beau rôle, son plus beau film et sa plus belle rencontre avec un réalisateur. Je confirme : il parvient à donner vie à ce personnage plein de la suffisance bornée des rejetons de sa race, mais aussi d'un amour maladroit pour cette femme trop intelligente, cette "fille qui réfléchit" comme la définit avec reproche sa mère. La tendresse de Miller pour les monstres ordinaires transparait dans sa façon de saisir la part de générosité dans ce bloc de certitude modelé par la reproduction sociale de sa caste et de son sexe, symbolisé par ce plan où on le voit parader lors d'une procession religieuse.
"Thérèse Desqueyroux" est aussi indissociable des Landes que Giono peut l'être des Basses-Alpes. Claude Miller sait rendre grâce à cette attache en filmant les forêts de pins sous toutes les lumières ou en captant le clair-obscur des maisons de maîtres d'Argelouse et de Saint-Clair. La superbe photographie à dominante sépia de Gérard de Battista qui l'accompagne depuis "La Petite Lili" apporte l'écrin souhaité à cette histoire vénéneuse, et Mathieu Alvado plaque quelques accords de piano à la Erik Satie qui ponctue avec discrétion (c'est si rare aujourd'hui !) l'avancée du récit. Film testament, "Thérèse Desqueyroux" apporte un point final à une des filmographies les plus riches et les plus cohérentes du cinéma français, tout en nous offrant un modèle d'adaptation littéraire, à la fois respectueuse du texte et de l'esprit tout en l'enrichissant du regard d'un véritable auteur.
Cluny
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